Les larmes des opprimées |
Il est plus que jamais temps d'agir pour le retour de la paix dans l'Est de la République Démocratique du Congo. La tentative d'assassinat du gynécologue Denis Mukwege, qui encadre les femmes victimes de violences sexuelles, le 25 octobre dernier est venue rappeler aux autorités du pays et de la région des Grands Lacs l'urgence de résoudre ce dossier vieux de 16 ans.
Pour exercer la pression, les habitants de Bukavu ont décrété une journée morte le 31 octobre dernier. Et ceci, trois jours après que le Caucus de Femmes du Sud Kivu pour la Paix ait adressé une déclaration officielle réclamant le retour du médecin sur son lieu de travail qui est l'hôpital de Panzi dans le Sud Kivu et l'ouverture d'une enquête pour élucider cette tentative d'assassinat sur sa personne.
L'éloignement du docteur Mukwege, actuellement basé à Stockholm en Suède avec sa famille, est perçu par ce groupe comme une façon de maltraiter davantage les femmes victimes des violences sexuelles dans l'Est du pays. Car, estiment-elles, ces femmes trouvaient un soulagement grâce aux soins dispensés par le Dr Mukwege.
Et c'était vrai. Le médecin réalise qu'il n'a pas été au bout de la mission qu'il s'était fixé: «En partant déjà, j'avais des femmes victimes qui sont venues me voir chez moi. Et c'était pénible d'avoir à les abandonner. Quand je les ai vus en train de pleurer, j'ai pleuré avec elles. Et je dois dire que je suis avec elles en pensées. Mais j'avais besoin de ce repli. Dès qu'il me sera possible, je serai de retour».
Malheureusement, près de deux semaines après le forfait, rien n'a fait bouger les autorités du pays. Aucune annonce d'une décision allant dans le sens d'un renforcement de la sécurité du médecin et de ses proches ou encore de l'ouverture d'une enquête pour identifier les auteurs de cette tentative d'assassinat et les traduire en justice. Selon le médecin, le gouverneur du Sud Kivu n'a mis que deux policiers à sa disposition pour protéger son domicile alors que la situation est plus préoccupante qu'on pourrait le croire.
Face à cette absence de réaction adéquate des autorités, la population de l'Est et plus particulièrement de Bukavu, a besoin d'être appuyée par l'ensemble du peuple congolais. Des voix doivent se lever du nord au sud, de l'est à l'ouest de la RDC pour réclamer que justice soit faite pas seulement pour le Dr Denis Makwege et les femmes violentées de l'Est, mais aussi pour tout le pays qui n'a que trop souffert du conflit armé.
Les Congolais n'arrêtent pas de fustiger l'impunité qui règne lors du traitement des dossiers et ce, malgré l'existence d'une loi sur les violences sexuelles. Plus d'une fois, les dirigeants sont montés au créneau pour exprimer leur volonté de frapper fort et mettre un terme à ces violences.
Mais c'est le discours qui l'emporte au détriment des sanctions effectives. Même l'armée qui est appelée à être disciplinée, recrute des bourreaux, mercenaires et autres auteurs de viols à qui on demande par la suite de protéger les victimes de violences sexuelles.
La tentative d'assassinat du 25 octobre contre le Dr Makwege a permis à ce dernier de découvrir un autre aspect du vécu des personnes violées. «Si moi, j'ai été agressé en pleine ville, dans un quartier sécurisé, je pense à toutes ces femmes qui sont à l'intérieur des maisons et qui subissent la violence tous les jours.
Leur situation est très difficile, plus dure que je ne le pensais puisque si on essaie d'attenter à ma vie en pleine ville à 19h, je peux imaginer comment toutes les personnes qui sont sans défense et sans protection sont en fait à la merci des bandes armées,» a-t-il dit à l'antenne d'une radio périphérique.
Leur situation est très difficile, plus dure que je ne le pensais puisque si on essaie d'attenter à ma vie en pleine ville à 19h, je peux imaginer comment toutes les personnes qui sont sans défense et sans protection sont en fait à la merci des bandes armées,» a-t-il dit à l'antenne d'une radio périphérique.
Il estime qu'il est de temps de mettre fin à cette situation. «On ne peut pas continuer à assister impuissant aux massacres et à la tuerie d'innocents. Ma sécurité, c'est une bonne chose. Mais je crois qu'il faut une sécurité pour toute la population. Elle a droit à cette sécurité. Les décideurs doivent prendre leurs responsabilités avec le sérieux qu'il faut ».
L'union fait la force, dit-on. Nous pensons que l'ensemble des initiatives menées à travers le pays pour appuyer les Kivusiens pourrait influencer les autorités et les emmener à prendre une décision. Depuis 16 ans, l'hôpital de Panzi soigne les patientes d'un point de vue médical, psycho-juridique et socio-économique. Mais la situation ne change pas parce que le traitement est curatif alors qu'il faudrait des actions préventives. Il appartient aux autorités de s'attaquer aux causes profondes du mal pour mettre fin au calvaire des femmes de l'Est.
Anna Mayimona Ngemba est journaliste en freelance en RDC. Cet article fait partie du service de commentaires et d'opinions de Gender Links.
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